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RETOUR D’ALSACE

si clairs ! Et les jardins d’horticulteurs, avec un piège à loup par massif, mais d’où femmes et enfants d’horticulteurs se précipitent avec tant d’élan, qu’ils sont les seuls à oublier de nous offrir des fleurs. Sur les trottoirs — que de choses aussi à dire des trottoirs ! — s’amassent tous ceux qui sont prêts à neuf heures du matin, les jeunes filles, les enfants, les infirmes, tandis que, de l’arrière-cour, les mères et les servantes, en caraco, lèvent les bras. Mais je mens : voilà des hommes en redingote, des femmes en toilette qui se sont levés et habillés exprès pour nous. Thann entière nous acclame, si soudainement, si brutalement, que d’abord nous nous regardons, et regardons autour de nous quel régiment victorieux défile, et croyons aussi une minute qu’on fête une victoire remportée dans le Nord. Cependant c’est bien nous qu’on regarde, qu’on touche. C’est bien nous, sergents, qu’on embrasse. C’est bien moi qu’une vieille dame salue exclusivement de sa fenêtre, reprenant ses révérences quand je me retourne, indifférente à tous les autres. Thann nous acclame comme il dut acclamer les régiments qui ont passé voilà huit jours en sens inverse. Peu lui importe. Elle ne veut pas voir que Michal, les bras pleins de roses, tourne sans hésiter au premier carrefour et nous guide vers la frontière.