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Page:Giraudoux - Retour d’Alsace, août 1914.djvu/86

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RETOUR D’ALSACE

Cela a du bon : si nous allions vers l’Allemagne, nous ne traverserions pas Thann dans sa plus grande longueur. Thann nous oblige seulement à faire notre entrée en Alsace le jour où nous en sortons. Tous les petits espoirs égoïstes qui encouragent une troupe à la vue d’une ville, espoir d’un verre de bière, d’un gâteau, d’un cigare, s’effacent devant une telle émotion Nous traverserons la ville sans boire, sans manger. Nous improvisons une allure guerrière, et nos tambours, nos clairons, éparpillés, se rassemblent au galop devant chaque bataillon. Notre compagnie a eu la chance de se faire raser ce matin : nous nous redressons et répondons au moindre regard par notre visage entier. Joie d’être contemplé par des yeux qui veulent trouver en vous la loyauté, l’esprit, le courage. Nous nous organisons pour cette fête : le colonel fait sauter son manchon et apparaître les cinq galons, le commandant Gérard les quatre, chaque capitaine les trois. Bientôt chacun reçoit d’hommages ce qui est dû à son grade. Nous ne savions point entrer dans les villes, Thann en cinq minutes nous a appris le protocole. Le capitaine Perret, qui jette de temps à autre un coup d’œil sur son Joanne, à la dérobée, par délicatesse, nous raconte que Kléber était ici architecte. Les soldats regar-