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Page:Giraudoux - Retour d’Alsace, août 1914.djvu/93

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RETOUR D’ALSACE

les absents et les manquants dans les familles qui sont au pas des portes : ici, il manque une fille, mariée en France ; ici, un ancien sénateur français, mort voilà dix ans. Il sourit en apprenant que nous venons de Roanne. Roanne est justement la ville concurrente de Thann pour les tissages et les impressions d’étoffe. Roanne a fait baisser ici les salaires ; mais il ne nous en veut pas. Jalicot lui demande :

— Et les Allemands ?

Pour la première fois, on nous donne la réponse que nous quémandons depuis un mois, une réponse de la Révolution :

— Nous avons pour eux de la haine. À bas les oppresseurs ! Vive la liberté !

On l’interroge aussi sur les cigognes, car voici sur la cheminée un nid à l’abandon près duquel on installa, pour éloigner les rats, sans doute, tant que durera le bail, un petit moulin à vent. Il nous répond avec la précision alsacienne :

— Nous en avions treize l’année dernière. Toute l’Alsace en a deux cent soixante et douze.

Les adjudants du bataillon se rejoignent. Ils sont ravis : ils ont enfin découvert la ville, cherchée vainement pendant quatorze années de manœuvres, où ils prendront pour leur retraite un emploi civil. Ils demandent s’il y a un percepteur,