Page:Giraudoux - Siegfried et le Limousin.djvu/143

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pelle encore avec quelle furie son élève s’y mettait ; le premier stylo a fait une heure. Avouez qu’un homme qui ressuscite aime mieux appeler une femme Eva qu’Amélie ou Ursule. Mais depuis 1914 nous n’en sommes plus, hélas ! à un fils près, et je comprends que ce premier argument vous touche à peine. Le second vous atteindra davantage. Quelle que soit la nationalité de Siegfried, Hongrois, Français ou Portugais, l’Allemagne a besoin de lui. Les autres peuples nous ont souvent reproché notre passion pour la transfusion des âmes, du sang, pour la création artificielle de corps ou d’intelligences humaines… Rassurez-vous, nous n’avons pas transfusé un fluide étranger en votre ami ; depuis que sa blessure est devenue cicatrice, le cycle de son sang est resté parfait. Mais notre grand maître Bentram, l’auteur de presque toutes les additions à nos constitutions, ayant eu la chance de voir Siegfried à Sassnitz, nous l’indiqua dès 1915 comme le conseiller désigné, par sa logique et son intuition sans précédent en Allemagne, pour étudier critiquement les projets de nos hommes d’État. C’est le principe de l’éducation allemande de spécialiser chaque Allemand, — chaque Allemand ne connaît que sa spécialité, pour le reste il s’en remet au Gouvernement, — et il nous a été facile de développer en Siegfried un conseiller d’État modèle. Vous êtes arrivé à l’heure ou ses services vont nous devenir indispensables. Ce dont nous manquons le plus, vous le savez, ce n’est point d’esprit créateur (par rapport au Français, nous créons dans la proportion où engendre un mari polygame par rapport au monogame), c’est de critique, et jusqu’ici seul Siegfried a vu le vice