Page:Giraudoux - Siegfried et le Limousin.djvu/185

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qu’elles rejetaient sans pudeur dès que leur amant la mer l’eugeait, par un froncement ou une ride, et sans qu’il fût besoin de leur dire un mot, à certains aspects et certaines agitations soudains des flots ou des feuillages, elles comprenaient que l’heure était venue des cartes en couleur, ou des cartes sentimentales, et se précipitaient devant la vague ou la falaise la plus vive, effrayant les mouettes qui portaient alors au ciel, sous un saint esprit immaculé, les cris d’une vieille corneille et d’un canard. Nous habitions face au Casino, jadis hôpital, où Kleist avait repris conscience, et j’étais sûr, chaque matin, de retrouver alentour ses pas marqués dans le sable, soit qu’il eût voulu regarder à l’intérieur par les interstices des échafaudages, soit qu’il se fût acharné sur une piste pour moi invisible et qui le menait toujours jusqu’à la Baltique au langage inhumain. L’après-midi, nous nous réunissions sur la terrasse. Le temps était beau. Parfois un bateau rouge dépassait insensiblement un bateau tout bleu et le contenait une minute. Il était doux de voir une couleur absorber l’autre sans en être modifiée. Celles des hirondelles qui préfèrent les moucherons salés voletaient sur la mer. La petite maison du sémaphore, aussi guindée et passée à la chaux que l’homme qui se tient debout dans les courses au milieu de l’arène et que jamais le taureau ne touche, attendait avec sérénité la tempête. Pas un volet ne tressaillait. Le docteur Wolff qui avait soigné la plupart des hommes d’État allemands, Erzberger, Rathenau, Wirth, nous donnait leur tension artérielle, et devait avouer que les assassinats, par un hasard inconcevable, avaient jusqu’ici observé l’ordre de mort fixé par la faiblesse