Page:Giraudoux - Siegfried et le Limousin.djvu/240

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chacun, à l’aube, s’orienterait suivant sa force en mathématiques ou sa faiblesse en latin, qu’un répétiteur empêchait de dormir les uns sur les autres par habitude de les empêcher de copier. Plus encore que par ce bruit, aux arrêts, d’eaux vives perpétuelles, ces odeurs nouvelles d’essences, cet accent de ma terre, j’étais atteint par l’accent limousin des hommes, dans la nuit noire, cet accent du Midi que mon père reprenait dans ses surprises ou ses émotions, que je retrouvais ce matin dans la voix des chefs de gare, des hommes d’équipe, du répétiteur, et qui me donnait l’impression de circuler dans une province surprise et émue… Sur mon cœur, la pesée s’accentuait de l’air ancestral ; j’étais tout à ce sentiment de modestie vis-à-vis des éléments et des humains que l’on ne peut éprouver que dans le pays de ses pères, où ni les monuments ni les familles ne semblent avoir été créés spécialement pour votre passage, comme Chambord ou les Luynes, et, moins que le décor de notre vie, en figurent une base inébranlable et quelque peu humiliante, avec ses églises romanes où l’eau bénite n’a pas été changée depuis votre baptême, ses chênes qui, en toute votre vie, ont pris trente cercles de 2 millimètres, et la dynastie des Chausson-Bouillat. Cette force à vivre dix siècles, que l’on se sent en Touraine, entre Cléry et Montbazon, ce n’était plus guère ici que l’espoir d’une vieillesse robuste ; cette immortalité garantie que donne la Provence, ce n’était plus, entre Montagnac et Ambazac, que la certitude d’une belle mort ; et, peut-être, à mesure que j’allais m’approcher plus près de la ville de ma naissance et y reprendre mon rang de simple pion dans le jeu qu’y jouent contre la