Page:Giraudoux - Siegfried et le Limousin.djvu/241

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mort les neuf familles principales, cet intervalle avec l’éternité et la liberté allait-il encore se restreindre. Que ma petite dignité d’homme me paraissait claire aujourd’hui, à mi-chemin de Magnac-Laval où sommeillait la lignée inconnue de mes petits-cousins, et du Dorat, avec mes belles-sœurs de belles-sœurs ! Pour la première fois, j’étais réduit à la taille où la page de ma vie cadrait avec le transparent, et l’apparition infaillible de chaque nom attendu. — Tiens, voilà Droux, Pierre-Buffière n’est pas loin, — près de cet être qui n’avait plus ni la jeunesse de son père ni la sienne. — Tiens, Folles et Bersac ont disparu, non, les voilà ! — me donnait, plus encore que l’indication d’une expérience réussie, la seule vraie estimation que j’aie trouvée — justement, voilà Bellac ! — de la condition humaine.

Soudain, le train fut secoué d’un de ces légers heurts qui passent au corps du voyageur la surprise du mécanicien à la vue d’un mouton sur la voie, ou la mort d’un bicycliste dans un passage à niveau. À notre gauche, le soleil se levait et d’un rayon horizontal transperçait le compartiment. Aux stations, on entendait le début ou la fin du chant d’un coq, et, quand l’arrêt était habile, le chant entier. Du pardessus de Forestier, de ces vêtements qui allaient lui sembler dans une heure la dépouille d’un autre, une lettre avait glissé. C’était la dernière lettre de Kleist au prince de Saxe-Altdorf.

— Mon ami, disait-elle, adieu. Ce n’est pas que vous m’ayez peiné en préférant Hoffmann à Tieck. Ce n’est pas que je doute du récit de votre voyage en Sicile, et de ce rosier dont les racines enserraient le