Page:Giraudoux - Siegfried et le Limousin.djvu/28

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nant comme ces poules qui disparaissent à la campagne toute une couvée du tramway, et il me tendit les deux mains, tenant à ce que le côté sacrifié participât à cette fête, et s’il avait eu du laudanum, je n’y eus pas coupé d’un baiser… Puis il s’assit en me heurtant comme un cheval qui rejoint au brancard son collègue cheval, reformant après tant d’années le vieil attelage avec lequel nous avions tiré bien des fardeaux, excepté la haine et la lamentation. Nous nous taisions, mais il est facile de savoir comment bat le cœur de celui qui donne tout le sucre au premier chien et cent sous au premier sourd-muet… C’est ce moment précis, naturellement, que choisit le hasard pour faire passer une Alsacienne en costume… Zelten sourit…

— Eh bien, dit-il enfin, tu l’as, cette fois, ton Alsace ! Celle que je t’avais donnée ne te suffisait plus ?

Voilà dix-sept ans, en pension, à Munich, il avait imaginé un moyen de clore nos disputes au sujet de l’Alsace-Lorraine. Il arriva un matin avec un puzzle qui était une carte d’Alsace collée sur carton et découpée par district.

— Il faut vider cette histoire du Reichsland, avait-il ajouté, du moins entre nous deux. J’ai la même carte découpée. Quand je t’en jugerai digne, toi ou ton pays, quand je serai pris d’un accès d’amitié, pour toi ou pour ton pays, je te céderai un district. Fais comme moi. Quel bel exemple nous donnerions à l’Europe si dans six mois tu avais toute ma carte et moi toute la tienne !

Puis il me glissa aussitôt dans la main, par satis-