Page:Giraudoux - Siegfried et le Limousin.djvu/52

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péfaite, le jour de ses expositions, de ne voir sur son catalogue que les Bernheim, les Bloch Levallois, et tous les Valdos Heymann. Parfois, des gens qui venaient la réveiller la nuit, comme on réveille un médecin en province, des gens qui allaient le lendemain prendre des vêtements de deuil, et n’avaient déjà plus de gants ni de chapeaux ; c’était pour l’emmener mouler la tête d’un mort célèbre. Elle se levait sans mot dire, prenait son baquet, son rouleau à plâtre, et suivait, en cuisinière de Pluton… Elle détestait, d’ailleurs, perdre ses compagnons, même animaux, et quand elle avait à choisir entre un chien, un chat, ou des oiseaux, elle allait voir le directeur du Muséum (car elle adorait voir le directeur de chaque administration, de chaque monument, parler au contrôleur, directeur du tramway !) et adoptait celui dont la race vit le plus vieux. Elle se proposait aujourd’hui d’acheter un jeune cheval, car elle était à l’âge (les poneys de Zetland vivent trente et un ans) où le cheval risquait de lui survivre… Dans cette atmosphère d’eau de Seine où elle se sentait par habitude inspirée, elle me racontait pourquoi elle avait épousé Zelten.

— Avant Zelten, j’avais eu des amis, mais qui alternaient tous dans cet ordre : un homme mûr, un tout jeune homme, un homme mûr, un tout jeune homme. Jamais un homme de mon âge. Tous les dix-huit mois, j’étais assurée de regagner la barbe blanche des collectionneurs d’Outamaro et de Van Goyen, pour retomber, au bout de dix-huit mois, à l’extrême jeunesse et aider mon ami à préparer son bachot. J’avais à changer de mode de locomotion et