Page:Giraudoux - Siegfried et le Limousin.djvu/56

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parents voyaient s’éloigner la réconciliation franco-allemande et le jour ou l’on redonnerait à la distribution des prix de l’Altstadt le Solo de Flûte ou Horace immolant Camille, on lui amenait les futurs protagonistes de plus en plus jeunes, et aucun ce mois-ci n’avait plus de six ans.

Il avait gelé. Le sol de la Bavière sonnait demi-creux. C’était la première fois depuis la guerre que je revenais en Allemagne, elle était reconnaissable, mais il avait dû s’y produire un changement que tout mon être subissait, sans que je pusse remarquer cependant autre chose que le ciel plus noir à minuit, les étoiles plus fixes, et le point du gel un degré plus élevé. Mueller m’entraînait dans un restaurant pour m’y passer les consignes de Zelten. Les maisons centenaires des Corporations, repeintes de la veille, séchaient et dormaient sans une lumière, comme les maisons et les villes ne savent dormir que si elles ont été sous la menace des avions. Mueller, qui professait aussi l’histoire de l’art, essayait de m’indiquer, ou de me faire toucher, quand la hauteur le permettait, enflambant des allumettes, la part respective des artistes bavarois et italiens dans les façades de la Résidence et dans le clocher Saint-Martin, haut de cent trente-trois mètres, et dont il déplorait que l’allumette ne permît pas de voir, juste sous la croix du paratonnerre, un motif sicilien pur. L’Isar gémissait bordé de deux Isar de glace. L’odeur des hôtelleries aussi avait changé, la bière y était d’un degré plus faible ou plus forte, les quenelles et le civet d’un jour plus macérés. Mueller me garda au chaud plusieurs heures ; on craignait, à Munich, un mouvement anarchiste, les auto-