Page:Giraudoux - Siegfried et le Limousin.djvu/70

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cevais d’ailleurs toute la tribu, à travers des fenêtres auxquelles il ne pendait pas de rideaux pour narguer les espions et prouver que leur malheur était le malheur type, celui qu’on peut étudier sous une chambre de cristal, comme les philosophes écossais étudient son contraire. Je dois confesser que ma chambre était par contre l’illustration réussie du bonheur bourgeois allemand. Le confort était assuré par une collection d’ustensiles en peau de lézard, service pour œufs à la coque dont les cuillers elles-mêmes étaient en lézard de Saxe, encrier en lézard de Roumanie, et il y avait même, je ne reconnus pas la couleur de mon compatriote, un service à huîtres en lézard français. Le lézard français est rouge vif et sa queue blanche. Le luxe était non moins généreusement distribué par les trophées offerts au mari, ténor d’un quartette amateur, et cloués au mur ou épars. « À Heinrich Langen pour sa belle victoire de Dessau », « À Langen le grand pour sa triomphale arrivée à Ratisbonne », « À l’ami Langen, colosse du contre-ut, pour son triomphe d’Eckmühl », car Heinrich Langen avait fait comme ténor en Europe centrale à peu près la même tournée que Napoléon. Enfin, car il était fonctionnaire et convertissait le premier du mois, comme ses collègues, de l’instituteur au directeur des postes, sa solde entière en marchandises dont la valeur resterait fixe, la chambre était semée de ces pots d’étain et de ces bassets de laiton dont un seul exemplaire indique, à Sumatra ou à Iquique, qu’un bateau allemand a passé. Que de chaloupes allemandes avaient abordé au large de Langen ! Tous les objets de seconde nécessité n’étaient dans ma chambre