Page:Giraudoux - Siegfried et le Limousin.djvu/71

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que par dizaines et ceux de première par grosses…

Il n’était que sept heures. Je pris le tramway de Munich, de Munich que j’avais abandonnée voilà quinze ans pour venir toucher à Paris le premier prix du concours : Quelles douze nouvelles annonceriez-vous à Napoléon s’il revenait aujourd’hui ? Ce prix était une boussole dont le Premier Consul s’était servi en Égypte, avec la devise : « J’oriente en Orient » et que m’envie encore mon concurrent non classé Dupuy, réputé pour son mauvais caractère, qui annonçait à Napoléon la mort du roi de Rome, Fachoda, Sedan et Chanteclerc. Munich était sous la neige et il faisait nuit. Mais je la reconnaissais, ainsi invisible, insipide et muette, à ces signes plus particuliers aux villes que leur Grande Roue, leur Bavaria ou leurs pompiers : au système par lequel les conducteurs de tramway épargnent leur salive pour distribuer les billets ou empêchent la poignée de la corde d’appel de heurter le front des clients, à la marque sur la plate-forme qui sert à mesurer les enfants et au-dessus de laquelle ils paient place entière, à une relève déterminée des voyageurs, chaque place abandonnée par un ouvrier reprise à cette heure et sur cette ligne par des femmes emmitouflées qui étaient les chanteuses du Théâtre Royal, par des petits enfants qui se haussaient à la toise pour mériter la faveur de payer et qui étaient les choristes, et deux ou trois autres voyageurs qu’un profane eût jugés sans caractéristique mais dont la vue me permettait cependant de reconnaître si l’on jouait les Maîtres chanteurs ou Carmen. Pas d’enfants aujourd’hui… Des dames hautes à forte poitrine, c’est-à-dire à voix de Koloratur, de petits