Page:Giraudoux - Suzanne et le Pacifique, 1925.djvu/104

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ces deux petites cymbales qui se recouvraient la nuit de cuir blanc. Jamais de ruse, de tendresse, d’intelligence ; on sentait que le premier chat, la première mangouste n’étaient pas encore nés. Jamais, comme je le voyais émue à la campagne, les corps de femelles peu à peu doucement distendues, les chiennes avec leurs petits, les larges vaches avec leurs pis, les biches lourdes de leurs faons, et la vie ne se transmettait dans cette île, entre des êtres toujours maigres, comme une jonglerie, que par des œufs verts ou violets piqués de brun. Jamais d’êtres pesants, jamais même de ces petits animaux qu’on met sur un sentiment qui flotte comme un presse-papier, le blaireau sur la malice, l’hermine sur la douceur ; les tortues avaient disparu quelques jours après mon arrivée, et je craignais, dès que les oiseaux s’assemblaient sur le rivage, ou s’alignaient sur les lianes comme sur des fils télégraphiques, qu’ils ne m’abandonnassent tous en une seconde. Je les sentais à la merci du moindre souffle qui annoncerait, à faux peut-être, l’hiver ou le typhon. J’en avais mis deux en cage, pour qu’il me restât du moins, s’ils partaient tous, deux compagnons vivants : je les changeais chaque jour, et je les avais quelques heures plus agités et plus ardents, comme si c’était seulement leur air et leurs couleurs que je chan-