Page:Giraudoux - Suzanne et le Pacifique, 1925.djvu/118

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clignements, des frissons, j’étais renseignée sur le mal qui advenait en Europe et les morts de mes amis ; en vain, de toute une année je ne pus pleurer qu’une fois et par hasard, le jour ou je pensai à une broche (de corail justement, le premier éclat que j’aie vu de cet élément sur lequel je devais vivre) le premier cadeau qu’on m’eût fait, que j avais échappée dans une fontaine, qui m’avait fait haïr une soirée entière ces gens qui ne plongeaient pas pour me la rapporter, car je prévoyais si peu qu’elle dût s’épanouir ensuite dans l’Océan et me sauver.

Par bonheur aussi, l’île eut à cette époque besoin de moi. Pendant quelques jours le courant qui contournait les récifs puis perçait la lagune pour effleurer le promontoire porta des amas de feuilles ou des îlots d’arbres entrelacés, tantôt à demi penchés, tantôt droits, comme dans les gravures le Mississipi. Ils avaient de larges fleurs… Peut-être le vent ne pouvait-il détacher leur pollen, peut-être était-ce des espèces que la nature devait approcher entières des autres espèces et des autres îles, plantes qui s’aimaient à la manière des hommes. Mais, du plus grand,