Page:Giraudoux - Suzanne et le Pacifique, 1925.djvu/12

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réflexes, tous faux ; elle donnait des gifles dans les semaines de piété, elle tendait la main pour savoir s’il faisait beau, et quand un de ses cils glissait sur sa joue, elle le recueillait et le croquait. La vue d’un animal lui arrachait toujours le cri d un animal différent, et quand on l’entendait chanter on était tranquille, c’est qu’elle avait envie de dormir. Parfois elle se fardait, minutieusement, c’est que nous allions à l’étang nous baigner. Elle parlait par phrases jumelles, contradictoires, la première commençait par le mot « physiquement », et l’autre par « moralement ».

— Physiquement, il est très mal, disait-elle. Moralement, il est parfait. Sensuellement, elle est sérieuse. Moralement, elle est légère.

À propos d’elle-même aussi, elle faisait depuis son enfance cette distinction. Une forte réflexion au cours d’une quarantaine l’avait ainsi à neuf ans coupée en deux, et nous avions pris l’habitude de l’appeler par son prénom ou par son nom de famille, selon qu’il s’agissait de Juliette physique ou de sa contraire éthérée. Elle ne s’y trompait pas :

— Que penses-tu, Juliette ?

Juliette pensait que sa peau, en la frottant, sentait le mort.

— Holà ! Lartigue, que penses-tu ?