Page:Giraudoux - Suzanne et le Pacifique, 1925.djvu/151

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Suédois seul dans une île, mais le dernier de tous, après le Belge, après le Luxembourgeois, un Italien… Jamais ma propre détresse, ma solitude ne fut claire comme à cette minute où je vis un Italien à ma place. Ce mot de solitude, supportable si juste avec son sens écossais ou danois, me fut décoché soudain d’Italie même et de sa capitale. Tout ce que la solitude italienne tient de villas, de terrasses, de feux d’artifice et de foule, avec les roulements des chariots ; avec les vignes d’où les vendangeuses tout à l’heure invisibles se relèvent à la fois quand vous passez ; avec, suprême solitude, dans un ciel tout bleu, un curé sous un aqueduc qui tend la main pour voir si l’eau traverse et goutte ; et la solitude des conciles ; et le pape, presque seul aussi dans son île, et enfin les grands jardins où l’on serait seul, si l’on n’était justement avec la solitude comme avec un autre que soi ; la vision m’en fit comprendre que, si j’avais supporté mon île, c’est que justement tout ce qui était italien en moi, j’avais eu la force de me le cacher. J’avais soudoyé de nacre, pour qu’elles ne me hantent pas, les terrasses d’onyx et d’albâtre ; j’avais soudoyé de corail les marais pontins et le Rialto ; de fruits rouges gros comme des citrouilles et d’orchidées les cyprès, les piments et les roses. Solitudes