Page:Giraudoux - Suzanne et le Pacifique, 1925.djvu/204

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deux mots en caractères anciens, du dix-septième ou du dix-huitième siècle, royal navy. Puis là où les tatoueurs s’obstinent à croire qu’est le cœur, juste au milieu du ventre, un cœur grandeur nature avec une flèche. Des noms de femmes épars, Mary, Kelly, Molly, avec des dates et des villes, Mary de Plymouth, Nelly de Sâo-Paulo, Molly de Dakar. Johnny était fidèle aux Anglaises quel que fût le continent. Une des jambes avec le dessin du tibia et du fémur, le pied avec tous les petits os, et, sur la plante, la signature de l’artiste : macdonald, tatoueur du roi, jermyn street. Sur la poitrine en lettres de cinq centimètres le début d’une phrase, i am, que je parvins à lire toute en retournant la plus lourde page qu’on ait lue en ce bas monde, i am a son of happy leeds. Un fils de l’heureuse Leeds, de la riche Leeds, grouillante d’épingles à tête et d’épingles à cheveux plus qu’un divan. Je lisais tout haut, je m’interrompais pour chasser les oiseaux, dans la langue, malgré moi, de Johnny Smith. Je n’ai parlé qu’anglais avec lui. C’est que je voyais l’Angleterre, à genoux devant lui, plus que si mille vaisseaux battant l’Union Jack avaient, passé au large… Ainsi, par la loi des probables et des moyennes, c’était un Anglais que m’apportait la mer ! Des cadavres flottant sur les eaux, le chiffre des