Page:Giraudoux - Suzanne et le Pacifique, 1925.djvu/222

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article contenait le nom de la même rivière, sans qu’on pût en saisir le rapport avec le sujet. — Les Allemands sont chez nous, disait le premier journaliste, mais que disent-ils de la Marne ? — Peu de raisin en France cette année, disait le second, la Marne suffit aux Français. À la page littéraire, on se consolait des méfaits des cubistes avec le même contrepoison : — Nous avons visité les Indépendants, disait M. Clapier, le critique, heureusement qu’il y a la Marne… J’étais même un peu effrayée de voir mon pays défendu contre les Allemands et les mauvais arts par ce mot unique comme par un talisman. Que le mot la Marne devienne vide, périmé, et la France et l’Académie étaient sans armes ! Mot qui semblait valable aussi pour les autres pays, seule monnaie française égale à son change : — Le Brésil est dépossédé du caoutchouc, disait la page financière ; il se console avec la Marne ; et pas un journaliste qui se trompât et dit : — La Grèce est infidèle mais il y a la Saône. — Les architectes français sont nuls, mais il y a la Vire… Sous toutes les lignes du Petit Éclaireur le seul nom de Marne coulait comme un ruisseau sous les planches à jour d’un pont. Si bien que machinalement je dis tout haut, essayant sur moi ce baume. — Elle est seule dans son île, mais il y