Page:Giraudoux - Suzanne et le Pacifique, 1925.djvu/228

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nuit où les grosses outardes font leurs nids. Pour entendre le clairon ou le coup de massue qu’on donne dans les foires, afin de gagner la médaille, il suffit d’attacher une oie près d’un arbre vieilli qui s’écroule. C’est à s’y méprendre. Il y a même un bruit qui non seulement remplace l’autre, mais est le même, et je l’écoute tant que je peux, car il me rappelle Bellac et la cheminée en peluche : celui d’un coquillage vide à mon oreille. Et pour revoir certains gestes auxquels là-bas on tenait, c’est à peine plus difficile. Pour retrouver votre gant jaune que je voyais sans vous voir vous-même sur la rampe du palier, quand vous descendiez mon quatrième, je n’ai qu’à me pencher sur la lagune et suivre une truite jaune qui regagne le fond en cercles toujours plus petits. Le geste du conducteur qui tire la sonnette pour vous dire que le tramway est complet, j’ai deux singes qui le font quand je m’approche de leur palmier. C’est tout à fait l’Europe. Il y a des matins aussi où j’ai la fatigue, non de ceux qu’évente la mousson, que lave trois fois par jour le Kouro Shivo, mais de ceux dont les pieds toute la veille ont buté contre des escaliers, dont les épaules sont courbées d’avoir voyagé debout dans un train de Ceinture. Ici, devant cette île qui est devenue de mon âme