Page:Giraudoux - Suzanne et le Pacifique, 1925.djvu/234

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tous les métiers. Il lui fallait une table pour manger, une chaise pour écrire, des brouettes, dix espèces de paniers (et il désespéra de ne pouvoir réussir la onzième), plus de filets à provisions que n’en veut une ménagère les jours de marché, trois genres de faucilles et faux, et un crible, et des roues à repasser, et une herse, et un mortier, et un tamis. Et des jarres, carrées, ovales et rondes, et des écuelles, et un miroir Brot, et toutes les casseroles. Encombrant déjà sa pauvre île, comme sa nation plus tard allait faire le monde, de pacotille et de fer-blanc. Le livre était plein de gravures, pas une seule qui me le montrât au repos : c’était Robinson bêchant, ou cousant, ou préparant onze fusils dans un mur à meurtrières, disposant un mannequin pour effrayer les oiseaux. Toujours agité, non comme s’il était séparé des humains, mais comme s’il était brouillé avec eux, et ne connaissant aucun des deux périls de la solitude, le suicide et la folie. Le seul homme peut-être, tant je le trouvais tatillon et superstitieux que je n’aurais pas aimé rencontrer dans une île. Ne brûlant jamais sa forteresse dans un élan vers Dieu, ne songeant jamais à une femme, sans divination, sans instinct. Si bien que c’était moi qui prenais la parole à chaque instant pour lui donner des conseils, pour lui