Page:Giraudoux - Suzanne et le Pacifique, 1925.djvu/242

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« Ne me dites pas que vous m’aimez. Vous me croyez depuis longtemps diluée dans la mer ; peut-être tout au plus, dans les êtres tout jeunes, imaginez-vous qu’est entrée une parcelle de moi et les caressez-vous… Pourtant, vous qui avez Chenonceaux, Chambord, Valençay, aimez-moi…

« Ne dites pas que vous mourrez sans moi. Vous mourrez sans prononcer mon nom, sans regarder dans mes yeux pour y découvrir, comme le naufragé dans les iris d’oiseaux, ma vraie espèce. Vous avez rayé de votre testament la ligne qui était pour moi… Pourtant vous qui êtes là-bas, vous qui avez les journaux, le Figaro, le Matin, l’Écho et les Débats, vous qui pourriez avoir par retour du courrier la Gazette de Limoges, aimez-moi…

« Ah ! Simon. Comme un pharmacien tout à coup au milieu de sa potion s’arrête, et subitement, sans raison, devine que sa vocation était d’être géomètre, comme à un jockey, sans raison, qui tient par la bride Dragon-du-Roi, est soudain révélé qu’il était né pour la médecine, à l’instant et sans raison, je devine que j’étais faite pour l’amour, pour l’amour.

« Pour l’amour à Chamonix ; je vois la fenêtre de la chambre d’hôtel pour laquelle j’étais créée. Pour l’amour à Saint-Moritz ; je vois les skieurs. Qu’on est bête dans la vie ! Je pense que la neige