Page:Giraudoux - Suzanne et le Pacifique, 1925.djvu/249

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vis du moins avec une demi-personne moins connue.

À quoi je m’occupe encore, Simon ? J’attends.

C’est mon seul travail, un travail véritable, que je ne peux négliger une matinée ou un après-midi sans ressentir le remords que donne chez nous la paresse : j’attends. C’est mon métier. Étendue ou assise devant la mer, j’attends. Je ne suis plus qu’un œil, j’en arrive à ne pas sourciller pour ne pas perdre le millième d’une chance. Tout mon ciel, tout mon océan est tendu comme une toile d’araignée, je suis prête à bondir sur la barque qui s’y prendra. Parfois, tout au plus, deux oiseaux qui avaient volé de conserve s’écartant soudain l’un de l’autre, je sens mon regard se découdre et je dois fermer les yeux une seconde. Ou les secouer parfois, pour attiser deux iris engraissés tout à coup par deux vagues jumelles, bans aucune pensée, comme les jeunes filles sur les terrasses attendent un de ces sentiments français auxquels un peu de complaisance du soir donnerait forme humaine, j’attends un homme. J’attends non pas un de ces bateaux transatlantiques qui portent des hommes à destins médiocres, aucune ligne n’effleurant ces passages, mais les deux esquifs qui ont le plus de différence