Page:Giraudoux - Suzanne et le Pacifique, 1925.djvu/25

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avec dans un des coins, debout, les pelles, les pioches, les brancards des fossoyeurs, et dans l’autre, en bouquet, trois cyprès, les fuseaux, qu’éventait minuit, des parques de Bellac. Les héliotropes embaumaient, tout droits, dédaigneux de la lune, persuadés que le jour aussi ils n’obéissaient qu’à eux-mêmes. Au premier coin de rue, notre corps, déjà pénétré de tant de clarté, tombait sous un bec électrique, qui nous semblait donc éclairer soudain notre âme même. Puis venaient des maisons d’amis, où nous était connue l’orientation de chaque lit, de chaque dormeur, et nous grattions au volet quand nous savions sa tête toute proche. Une à une mes compagnes m’abandonnaient, comme des doubles touchés l’un après l’autre par le vent de minuit, je montais à ma chambre en me hâtant, poursuivie de tout près par je ne sais quelle métamorphose. Les arbres frissonnaient. C’était bien minuit. On entendait au dehors le froissement d’un grand feuillet qu’on tourne : je prononçais mon nom tout haut pour parapher la page fraîche, mon prénom, mon nom surtout, plus fragile chez les jeunes filles qu’un prénom ; toute cette toilette de nuit qu’on fait devant un miroir, devant la vitre sans me voir je l’achevais ; les dents serrées d’angoisse et parce qu’elles tenaient une épingle ; la tête