Page:Giraudoux - Suzanne et le Pacifique, 1925.djvu/251

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m’eût dit, en me tendant à moi, toute nue, sa main pour notre premier shake-hand : « Excusez mes gants ? » Et ce pasteur américain qui vite me photographierait avec le drapeau de son université pour robe ? Et cet Allemand plein d’amour, qui m’eût installée à une table pliante avec de la bière de Pilsen, me condamnant à un baiser chaque fois que j’oublierais de refermer le chapeau en étain du verre ?

Les jours où je sens trop que le départ n’est pas pris vers moi entre les messieurs du monde, j’attends le vent…

Cette île, comme dans une auto l’on reconnaît simplement à un petit tube rouge devant ou à un petit tube bleu à gauche si elle a son huile ou son essence, je sais maintenant à quels objets minuscules on voit qu’elle a son plein de soleil ou de vent. Je sais l’aboutissant des rouages du Pacifique. Cette paillette d’argent dans un trou du coin gauche du rocher Rimbaud, si elle miroite, c’est que la lune est à sa maturité. Cette tranche d’arbre abattu soudain couleur sang de bœuf, c’est la pluie pour le surlendemain. Ces abeilles sortant de l’arbre par le sommet, c’est un tremblement de terre pour le début du jour suivant. Ce nénuphar remuant trois fois, c’est un phénomène plus rare, annuel à peu près, le passage dans l’île de l’orni-