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Page:Giraudoux - Suzanne et le Pacifique, 1925.djvu/270

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vers lui. Je me disais en vain tout ce que m’eût dit Mademoiselle : que pour la première fois de ma vie je n’étais plus une jeune fille bien élevée, qu’une jeune fille bien élevée ne prend pas une main d’homme, n’embrasse pas un front, ne couvre pas de petits galets, un à un, pour atteindre le poids maximum où sa respiration s’oppresse, une poitrine échancrée d’astronome-lieutenant. Près de ce corps endormi, d’ailleurs, pour la première fois, je me rendais compte de la ruse et de l’agilité que j’avais gagnée dans l’île. Je voyais tout malgré la nuit. Ce jeune homme méfiant qu’un oiseau éveillait, je le piquai d’une épine pour le voir remuer, soupirer. Je replaçais sous sa tête sans qu’il s’en aperçût ses coussins. Je faisais le siège de ce sommeil. Je fardai son visage, je peignis ses lèvres. Je mis près de lui cette herbe qui fait rêver ; il claqua la langue pour exciter un cheval, il remua le troisième doigt de la main droite, mon herbe polynésienne le fit rêver d’une promenade en charrette sur Riverside. Grimpée dans le mancenillier juste au-dessus de lui, je le surveillais, comme les tigres qui se laissent tomber sur le passant ; au moment où son rêve parut le tourmenter, je me laissai tomber près de lui, écartant le cauchemar sans l’éveiller lui-même. Vêtue de nacre