Page:Giraudoux - Suzanne et le Pacifique, 1925.djvu/275

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de lèvres ou les reflets sur les joues quels noms propres ou quels noms de ville traversent une pensée d’homme… Rien d’ailleurs que de logique dans la rêverie d’Hawkins. En cette première seconde, il songeait à la Havane, il voyait un passager, au transbordement, effaré de voir tomber sa malle à chapeau dans la mer. En cette deuxième seconde, à deux statues du port de Bahia, dont les oreilles étaient des coquillages gigantesques ; l’un d’ailleurs était faux et l’on n’y entendait pas la mer. En cette seconde, à Madrid, à la caissière bigle du Palace Hôtel, à Goya, à Vélasquez. Puis, soudain, le tango fini, à pas grand’chose, à rien… Que je l’aimais !

Et la nuit revint. Le phonographe, la lampe électrique du canot à travers les cocotiers, un cri de singe au loin, tout cela donnait à mon âme le mal que donne un jardin public de banlieue, et devant un miroir j’aurais pu d’après mon visage deviner quels mots terribles traversaient en me déchirant toute : le Vésinet, La Garenne-Bezons, peut-être Bois-Colombes… Sur la grève, le mécanicien sifflotait les airs déjà joués, mais en retard de deux ou trois disques. Je savais qu’il s’occupait à réunir tout ce qu’il y avait de bleu, de blanc et de rouge dans le vestiaire pour mettre à la poupe un pavillon français, mais j’hésitais à