Page:Giraudoux - Suzanne et le Pacifique, 1925.djvu/280

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se rapprocha d’elle, lui glissa un reflet qu’elle accepta et cacha, comme une femme qui mène au train son ami le billet de l’ami qui reste. Puis un choc au canot, c’était le dernier ressaut de la houle contre mes récifs ; puis une contraction de mon cœur, c’était sans doute la ligne d’où les Canaques qu’on arrache à leur patrie se précipitent à la mer. Deux ou trois de mes oiseaux favoris m’accompagnèrent longtemps, puis, à je ne sais quelle autre limite, désolés mais contraints, m’abandonnèrent. Je pleurais. Billy pour la première fois maudissait la terre, et me détourna de ses bras vers l’avant juste à la seconde où mon île disparut, comme on détourne la tête d’un enfant au moment exact où le monsieur dans le lit meurt.

Ainsi je quittai l’Ile. Parfois je frissonnais, croyant être effleurée à nouveau par un de mes oiseaux ; mais c’était le vent qui emportait une des mille dépouilles de paradisiers entassés sur le pont. Avec des yeux aussi gonflés de larmes qu’une pensionnaire qui va au couvent, je surveillais les glissades de la mallette que mes amis m’avaient prêtée. Petit trousseau de pension qui ne contenait que des litres de perles… Billy essayait de me distraire, me parlant de Wilson, de Victor Hugo, de Verlaine, comme on m’eût parlé, fillette, des pions et des sous-maîtresses que