Page:Giraudoux - Suzanne et le Pacifique, 1925.djvu/39

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citron, un canoë vert et rouge appelé Youpinskoff ; et que soudain, la route entrant dans des falaises, on apercevait, surplombant les acacias, au faîte des talus, la dernière rangée des épis de blé d’un grand champ, les épis de blé les plus proches de la ville ; alors, et comme les jeunes filles, tout ce qui est autour des passions et de l’amitié elles le reçoivent et le comprennent sans vouloir comprendre les passions, l’amitié, je comprenais tout cela, je fermais les yeux, je les sentais à l’intérieur, salées, mes larmes, sans comprendre Paris !

Parfois j’apercevais, réclame de la nature, une autre jeune fille. Je lui souriais, je lui faisais signe. Elle me répondait de là-bas en secouant la tête, en agitant les bras, par un de ces gestes de sourd-muet qui les livre alors que leur langage est si vide. Parfois, immobile et encadrée par la fenêtre ou la porte comme jadis une de ces marques qui indiquaient, à l’insu des propriétaires, qu’il fallait tout y piller ou tout y respecter ; ou bien courbées, et nourrissant à deux un bouvreuil ; d’autres renvoyant leur souffle sans l’aspirer jusqu’au fond, comme les mauvais fumeurs la fumée, songeant à peine à respirer, condamnés à mourir au premier oubli ; une qui me ressemblait, dont chaque regard, chaque mouvement ne s’expliquait que par une franchise intraitable ; une