Page:Giraudoux - Suzanne et le Pacifique, 1925.djvu/86

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ment avec la bonté d’un chirurgien qui rompt une côte, heureux aussi au craquement ; des cocotiers plus hauts que les chênes, dont les noix tombaient sur une mousse ou sur des stalagmites qui les faisaient éclater ; des manguiers, et la première mangue que je cueillis était juste à point. Depuis des milliers d’années, la course entre mon destin et celui de cette mangue avait été réglée à la seconde. Un beau soleil vaquait derrière fougères et palmes comme une cuisinière. Ou bien, de rayons séparés et croisés comme les bâtons d’un Chinois qui mange, il harcelait et me révélait de petits ananas et d’énormes fraises. Partout des arbres inconnus, mais qu’on devinait des aliments rébus ; il devait me suffire de patience pour en trouver la solution, pour découvrir entre eux quel était l’arbre pain, l’arbre lait, peut-être l’arbre viande. Des arbres sans fruits et presque sans feuillage, mais cerclés de cercles rouges, qu’on devinait pleins d’abondance, et dont je tapais le fût, pour voir s’ils étaient pleins, de ma main ou d’un bâton. Des arbres qui, à mesure qu’ils étaient plus stériles, offraient plus franchement leurs dons : des trous d’où sortaient les abeilles, des trous d’où coulait le miel même ; ou bien, à la hauteur d’appui de cet être humain qui jamais encore n’était passé là, des œufs d’oiseaux dans des nids. Des tortues, arrêtées