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Les Vignes folles.



Mais vous le défendez, reine de mes délires,
Vous ne le voulez pas, Circé pleine d’orgueil,
Vous dites de se taire aux cordes de nos lyres,
Et vous nous glacez tous de peur par un coup d’œil,

Que redoutez-vous donc, sinistre enchanteresse ?
Quelle révolte enfin craignez-vous, dites-moi ?
De ma vaine raison n’êtes vous pas maîtresse ?
Ne me tenez vous pas captif sous votre loi ?

Craignez-vous que je n’aille au-devant de la foule
Lui crier : — Ne viens pas dans cet endroit fatal ;
Vois ma blessure en feu par où mon sang s’écoule ;
Vois mon cœur sur lequel se pose un pied brutal ! —

Non ! ivre que je suis du vin de la folie,
Pour ne pas effrayer les timides passants,
Je mettrais du carmin sur ma lèvre pâlie,
J’adoucirais pour eux mes sauvages accents.

Mais je prendrais mon cœur meurtri, mon cœur qui saigne,
Et je l’enfilerais, pareil à ceux qu’on voit
Galamment transpercés et peints sur une enseigne,
Avec ces mots : — Ici l’on mange, ici l’on boit !

J’en ferais un hochet bien ciselé pour celle
Dont la superbe épaule a le balancement,
Sous l’ardeur des cheveux où la flamme ruisselle,
Du ballon que les airs bercent nonchalamment !