Page:Glatigny - Œuvres, Lemerre.djvu/137

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Nulle méchanceté ne luit en sa prunelle,
Et, tout en consultant les chiffres d’un carnet,
Elle suit, d’un œil plein de bonté maternelle,
Le troupeau dispersé parmi l’estaminet.

Oh ! l’effroyable ennui qui pèse sur ces têtes,
Qui courbe tous ces corps sur le pâle velours
De la banquette usée ! On croirait voir des bêtes,
Tant leurs yeux sont éteints, tant leurs membres sont lourds !

Et pourtant, ô douleur ! quelques-unes sont belles
De la fraîche beauté qu’enfantent les vingt ans ;
Elles pourraient se joindre aux folles ribambelles
Dont s’émaillent les prés aux heures du printemps !

Elles pourraient jeter librement dans l’espace
Leur chanson, leur bonnet et leurs bras en collier
Au col de leur amant, sans qu’une main rapace
De leur caprice heureux les osât spolier !

L’une, enfant qui s’endort aux bras de la débauche,
Apprend de sa voisine un refrain crapuleux
Qu’ensuite elle s’en va chanter, timide et gauche,
Auprès d’un militaire, en fermant ses yeux bleus.

Une autre se renverse, irritante et lascive,
Détirant dans les airs ses bras dévergondés,
Sur les genoux d’un homme à face répulsive
Qui baise ses cheveux fortement pommadés.