Aller au contenu

Page:Glatigny - Œuvres, Lemerre.djvu/277

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Quant aux jurés,— j’en pleure encore maintenant —
Des Corses, condamner un Corse ! La sentence
Fut rendue. Un frisson courut dans l’assistance ;
Pour moi, je n’entendis qu’un mot, rien qu’un seul : MORT !
Prononcé froidement, lentement, sans remord
Par un grand homme sec et pâle en robe rouge.
Ô pauvre Anton ! quand nous enfumions dans leur bouge
Les gendarmes d’Evise et de Piedicorté,
C’était lui qui marchait toujours a mon côté.
Jamais il n’était las, et lorsque Théodore
Ordonnait la retraite, il disait : « Pas encore,
Restez donc ! Nous laissons le meilleur du morceau ! »
Et le voir, sous nos yeux, tuer comme un pourceau !
Car nous fûmes le voir guillotiner. La rage
Est bonne, par moments, a l’homme et l’encourage.
Nous étions six : un des Zanuelli, Sarroch !
Puis trois autres, debout dès l’aube, sur le roc
Où l’on avait dressé la honteuse machine.
Tout le peuple était là, muet, courbant l’échine
Devant les sabres nus et les fusils armés.
Nul soupir ne sortait de nos cœurs opprimés,
Nous regardions, disant : « Ce n’est pas vrai ! » quand Pierre
Parut. Dévotement chacun dit la prière
Des agonisants pour celui qui s’en allait.
Mes doigts fiévreusement tourmentaient mon stylet,
Quand la tête tomba.
La chose terminée,
Nous nous trouvâmes vers la fin de la journée
Au maquis de Cardo, tous les six, et là-bas,