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Premier péché

Fleurs Pascales


Elle s’en allait timide et gauche, se serrant contre les murs, ou s’accrochant presque aux carrés de bois qui bordent les jardins minuscules de nos habitations ; toute sa personne s’effaçait dans une robe trop grande. Sa pauvre tête, jolie peut-être, perdait toute sa grâce sous l’inélégance d’un lourd chapeau, et ses pieds donnaient, à chaque pas, un bruit sourd : les pauvrets étaient perdus dans les immenses bottines.

Elle était vêtue, elle n’était pas habillée. On lui avait jeté sur le dos une défroque ; elle la portait, résignée, pendant que son regard, celui de la femme qui admire toujours le joli, se posait sur trois adorables jeunes filles. La grâce avait pétri ces délicieuses créatures, la vie n’avait pour elles que sourires ; parées de fleurs elles s’en allaient, la veille d’un Pâques, heureuses d’être jeunes et belles.

On était presque fâché de voir suivre tant de jeunesse, de fraîcheur, d’élégance par cette triste femme dont la figure ne se voyait pas, mais dont l’aspect informe faisait détourner la vue du passant, tantôt captivé. À l’heure du renouveau, sa toilette fanée dérangeait l’harmonie des décors ; plus d’un lui en voulait, sans doute, de lui gâter ainsi son plaisir, tout comme l’on regrette de voir gaspiller un paysage joli, par une construction lourde et bête. Elle sentait peut-être cette douloureuse impression, car de plus en plus, son allure s’embarrassait, elle semblait rechercher les obstacles, elle les multipliait pour ainsi dire, et sa jupe mal faite rendait à chaque pas le bruit du vêtement qui fatigue.

Soudain, du groupe des trois grâces tombent des fleurs… trois roses, que par une mystérieuse devination, les jolies mondaines laissèrent peut-être glisser de leurs bouquets… Si les fleurs, dont l’intuition serait alors merveilleuse, ne s’échappèrent, elles-mêmes, du cercle parfumé.

Elles tombèrent sur l’asphalte qui les recueillit sans froisser la grâce rose, comme si lui-même, le rude, s’adoucissait à leur beauté.

Elles tombèrent…

La pauvrette s’arrêta, l’immense chapeau tourna de droite à gauche, et de toutes petites mains, qui disaient un âge jeune, se penchèrent dans une hâte fébrile.