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L’Adieu du Poète

Jeanne

Comment n’aimerais-je pas le poète qui, dans ses vers, nous révèle une autre France ? Nous, humbles femmes, aimons bien notre sang : et de savoir que notre âme vit aussi là-bas, nous nous sentons deux patriotismes au cœur ! Et ce sont tous mes frères du Canada que j’aime en vous. Vous êtes, pour moi, la patrie lointaine !

Crémazie

Et ce que j’aime en vous Jeanne, ce n’est pas la femme, c’est l’ange et c’est la France !

Jeanne

Je rends à votre patrie le culte que vous avez voué à la mienne.

Crémazie

Merci, Jeanne ; vous êtes bonne. Dans ma vie vide, vous êtes passée ; votre sourire a rêvé de faire germer des espérances mortes… J’ai cru à une résurrection opérée par votre dévouement… Mais la mort vient, et d’écouter la voix de l’Océan toute ma douleur me remonte à l’âme… Savez-vous ce que j’entends ? Écoutez avec moi…

Jeanne

N’écoutez pas, mais parlez-moi…

Crémazie (très agité, se penche vers la fenêtre)

Écoutez bien, ce sont les accents de mon fleuve, lorsqu’il a de ces colères qui font peur aux rives ; il se jette en furieux sur les granits affolés, les mord dans une rage folle, et son étreinte se fait terrible…

Jeanne (le ramène doucement à son fauteuil)

Regardez-moi plutôt !

Crémazie (toujours délirant)

Le voyez-vous redevenir berceur et doux ; sa vague a des alanguissements et des coquetteries ; la plage en est émue, les