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Premier Péché

la voyez jamais assez, tel un volume aux pages minces, vous le feuilletez et, à chaque lecture, une séduction se révèle.

Parmi toutes ces merveilles, je ne sais rien de plus parfaitement beau, de mieux réussi en fait d’imprévu que cet endroit unique que les habitants de la Malbaie ont parfaitement appelé, en le nommant dans leur langage bien simple : le Trou. Le nom manque peut-être d’élégance, mais nul ne saurait mieux peindre cet immense entonnoir auquel on arrive en gravissant nombre de côtes sablonneuses. Rendus à une extrême hauteur, une énorme vallée est à vos pieds, et lorsque vous êtes parvenus là, en vous enfonçant un peu sous bois vous admirez une grosse chute se divisant en trois parties, afin de distribuer à toute la forêt, sa beauté de souveraine impérieuse et fière. Vous passez là de radieuses heures, tout à la poésie enveloppante qui émane de cette nature rustique, éminemment idéale, sous le ciel qui rit, pendant que les oiseaux modulent d’une voix très douce, presque basse, des chants inconnus et troublants. On sent des génies se promener autour de soi, et dans les airs flottent des écharpes dont la frange se mouille aux gouttelettes d’eau qui rejaillissent jusque là-haut, caresses de l’onde aux êtres aériens.

Le Trou est visité chaque an, par un nombre considérable de touristes, c’est un des endroits recherchés des pique-niqueurs, et combien d’amoureux ont gravé dans un cœur, sculpté sur l’écorce des bouleaux, les noms que l’avenir a unis souvent, désunis parfois. Il est dans ces lieux resté quelques parcelles des âmes, car on sent mille mystères causer bien bas… et tout cela émeut et trouble.

À part la Pointe-à-Pic, l’endroit favori des mondains de la ville, le Cap-à-l’Aigle est aussi un séjour préféré, celui-là, des gens tranquilles, qui abordent la Malbaie avec la ferme intention d’y goûter le repos. Le Cap-à-l’Aigle regarde la Pointe-à-Pic, en face, avec un air d’assurance et de défi, comme pour dire à la coquette plage : « tu es plus mignonne, plus aimée, peut-être plus jolie ; je suis beau de ma grâce rustique et fière, et dans une lutte, je te vaincrais ! » Il l’écraserait même si l’Aigle furieux lançait les rochers de son cap énorme sur sa fine et gracieuse vis-à-vis.

On arrive au Cap-à-l’Aigle, à travers un chemin tracé dans l’immense forêt que l’on nomme le Cap Fortin, et sur le haut duquel est placé le champ de l’éternel repos. C’est là que les habitants de l’endroit vont s’agenouiller sur les tombes lointaines, mais néanmoins fleuries de plantes fines et parfumées.

Je ne crois pas que nulle part ailleurs, on retrouve un endroit plus fièrement isolé, pour y gémir, pour y pleurer, pour y dormir toujours. On est là seul, bien seul avec la douleur, et si à