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Premier Péché

Elle ne pleure pas, mais tout son être est secoué de tressaillements qui éclatent comme ces plaintes entendues les soirs où les vents rudes du nord épuisent, de leur souffle redoutable, la force du géant des forêts. Et ainsi, la frêle créature sent sourdre en elle tous les gémissements…

***

Marthe croit qu’elle va mourir, ses yeux se ferment, ses jambes se dérobent… C’est qu’il est là, lui, et, dans un instant, l’avenir s’engloutira dans la tombe de sa beauté à jamais morte.

Elle marche maintenant avec une lenteur d’automate, et la main prête à tirer le dernier voile sur son bonheur, elle se rappelle, dans une subite réminiscence, cette phrase de Balzac, cueillie au hasard, qui s’était stéréotypée en sa mémoire comme de ces mille choses gravées là par la secrète intuition de la douleur ou de la joie à venir. Et cette phrase : « La petite vérole est la bataille de Waterloo des femmes. Le lendemain, elles connaissent ceux qui les aiment véritablement. » Elle allait savoir…

— Marthe ! fit-il, en s’élançant, et sur ses mains, il mit dans un baiser, tous ses respects, ses angoisses, ses joies.

Et cependant Jean regardait la chère fiancée, ne se doutant pas avec quelle terreur la pauvre âme scrutait ses yeux clairs et profonds. Il y rayonnait le plus ardent amour, et rien n’ombrait cette flamme ranimant un cœur à l’agonie.

Jean parlait de ses craintes terribles : comme il avait tremblé pour ses jours, et combien alors il avait senti quelle place elle tenait dans sa vie ! Il parlait encore, et la pauvrette buvait cette liqueur enivrante qui communiquait à sa faiblesse de tantôt une force inouïe.

Jean la regardait avec ravissement. Il ne la voyait donc pas, pensait-elle, et fermant les yeux, une figure défaite apparut dans la nuit : c’était l’évocation de la glace.

— Mon ami, dit enfin Marthe, la voix basse, comme si elle ne voulait pas entendre ce qu’elle disait, je suis trop laide pour que vous m’aimiez encore ; vous ne me voyez donc pas ? exclama-t-elle dans une soudaine explosion.

— Mais si, je vous vois, ma belle Marthe, toujours, comme je vous ai aimée. Et pourquoi ne vous aimerais-je plus, dites ? Vos traits n’ont rien perdu de leur grâce, votre bouche a toujours son fin sourire, et dans vos yeux je lis encore la bonté et l’esprit qui m’ont fait vous aimer… Laide, vous, Marthe ? mais vous voulez me faire souffrir, en accusant votre cher visage d’avoir changé…

Elle écoutait, ravie, cette belle voix aux notes enthousiastes, et la vie de nouveau la prenait avec une sensation d’infinie dou-