Suggestion
— « Jamais, il ne m’aimera ainsi ! »
Et devant sa glace, Marthe pour la centième fois, regarde ses traits ravagés, sa peau striée de maints petits plis, sa bouche, dont la ligne a perdu son harmonie. Tout au coin des lèvres, un creux perfide s’est posé, et de l’œil attristé de la jeune fille coulent des larmes laissant une trace sanglante sur la joue fatiguée ; puis s’en vont mourir là, dans ce petit réservoir de la douleur.
Elle se contemple, avide de voir ce qu’est devenue la beauté, dont jadis elle était si heureuse. Jadis ? — il y avait deux mois à peine !… et dans ces quelques jours, elle était devenue la hideuse créature qui se regardait avec dégoût. Elle, oui, c’était elle, et pourtant la pauvre Marthe ne se reconnaissait plus. Elle avait de la pitié pour ce pauvre visage, dont la beauté défunte avait laissé au regard toute sa lumineuse pureté ; et ses longs cheveux, toujours beaux, serviraient donc de linceul à tant de grâce détruite… Un instant, Marthe oublia, — tant ce n’était plus elle, — que ces larmes étaient données à son propre deuil ; il lui sembla s’attendrir sur le sort d’une amitié chère.
La petite pendule compta deux heures, et la jeune fille eut un soubresaut… la réalité revenait… Plus qu’une heure… et il serait là, lui ! Elle voudrait reculer, à l’infini, cette entrevue, prise de l’espoir que le temps réparerait les ravages de la terrible maladie… et Marthe écrivait à Jean, le suppliant d’attendre… Mais l’amour a-t-il de ces patiences ? Le jeune homme insista.
Dans quelques minutes, Jean serait là, il regarderait cette pauvre figure meurtrie, et déjà elle lisait dans son œil noir une immense pitié. Toute sa fierté se révolta.
Cela non, jamais ! Elle ne veut pas une ombre sur l’amour passé, et s’embrassant d’un regard désespéré, elle répète encore :
— « Jamais il ne m’aimera ainsi, son amour ne sera plus fait que de bonté attendrie — et je n’en veux pas ! » Marthe serre ses pauvres petites mains dont les articulations craquent sous cette étreinte affolée. Dans ses oreilles bruit avec des trépidations sourdes, cette phrase souvent dite par les sceptiques : « Les hommes n’aiment qu’avec leurs yeux. » Ces mots-là lui entrent dans le cœur avec une acuité terrible ; et dans un héroïsme inconscient, elle les redit prête à agrandir la blessure jusqu’au suprême martyre.