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Page:Gobineau - Adelaïde - 1914.djvu/29

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et elle crut pouvoir admettre que la cause de leur malheur était à trouver dans l’insouciance avec laquelle chacune avait lié son bonheur à un homme qui le dominait, et qui, partant, le pouvait briser aussitôt que son cœur, à lui, conseillerait la désertion.

Elle se dit: je ferai un heureux. J’aurai un esclave qui me devra tout et le premier succès et le premier bonheur et la première gloire et la première expérience. Il m’adorera et si je l’adore, je ne le lui dirai pas comme je le sens, et je régnerai sur lui; je l’entraînerai où il me plaira qu’il aille et je le connaîtrai à fond, tête et cœur, bien et mal, vices et vertus; des premiers je flatterai ceux qui me serviront, des secondes, j’étoufferai celles qui pourraient se dresser contre moi. Je l’aurai tout à moi, d’abord, parce qu’il sera très jeune et qu’il se donnera sans réserve et je profiterai de ce moment pour le pétrir et le repétrir de telle sorte, que s’il songe jamais à se révolter, il n’aura plus ni nerfs ni muscles pour servir son intention; de cette façon-là, je réaliserai une des plus belles fictions des romans, j’aurai créé un des amours hypothétiques qui durent toujours, et, jusqu’à mon dernier soupir, si cela me plaît, je serai servie, je serai aimée, du moins le monde, et c’est l’essentiel, me croira telle; enfin, en admettant que ce soit là une chaîne propre à devenir lourde, moi et non pas lui, ma volonté et non la sienne, décidera de la rupture.

Quand elle vit Rothbanner pour la première fois, il lui