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déplorable à l’influence de la saison et promit de réduire à rien, avec un peu de quinine, les symptômes inquiétants. M. Coxe, dévoré d’inquiétudes en voyant sa fille adorée dans cette situation, et craignant encore pis, se jeta avec ferveur dans la foi aux médicaments et se persuada qu’il fallait en attendre beaucoup. La quinine, en effet, est une bonne chose ; ce n’est pourtant pas la panacée universelle, et on ne s’étonnera guère que, recherchée par cet unique moyen, la guérison d’Harriet ait fait de minces progrès.

Pour mieux dire, ces progrès furent nuls. La santé d’Harriet était détruite. Il y a dans tous les tempéraments une sorte d’heure climatérique, où, suivant l’action des circonstances, ils se fortifient ou se perdent. Harriet était arrivée à cette révolution fatale quand l’amour de Wilfrid vint la trouver. Elle avait vingt-six ans et quelques mois. Ayant habité, pendant de longues années, dans ces contrées malsaines des pays d’au delà du Gange, où les natures les plus fortes s’usent à la longue, comme le fer sous l’application patiente de la lime, elle s’était, en apparence, défendue assez bien. Mais en réalité, la fatigue l’avait gagnée ; elle aurait eu besoin de repos, de calme, de bonheur. Un état si doux, elle l’avait entrevu, possédé même par instants, quand Nore était auprès d’elle et que, fermant les yeux sur l’avenir, elle se contentait du temps présent qui ne pouvait durer. Désormais elle avait tout perdu.

Puis, dans le cours de son existence, que de soucis ! Elle en avait eu pour son père ; souvent, elle l’avait vu en danger de mille façons ; elle en avait eu pour son frère, dont la jeunesse lui avait causé tant d’inquiétudes ! Et encore, que de travaux l’éducation de cet enfant lui avait imposés ! Que d’études stériles pour le guider et le rendre capable d’exercer son métier ! Elle avait pâli de longues soi-