Page:Gobineau - Les Pléiades, 1874.djvu/157

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Chypre faisait descendre en flammes vengeresses dans le sein des filles de Minos. Cette innocente et douce créature pensait ce qu’elle n’aurait jamais osé entendre et ce qu’elle n’aurait jamais su exprimer. Malade, réellement malade, elle avait peine à se lever, peine à se soutenir, plus de peine encore à se prêter au contact des réalités et à remplir les devoirs journaliers que le soin de son père et les devoirs domestiques lui imposaient ; cependant le premier ne se trouva jamais négligé, et les autres furent accomplis comme il était de coutume, de la manière voulue, à l’heure habituelle.

Pas un mot, pas une monosyllabe, pas une plainte, pas un geste ne trahirent à aucun moment la torture de la martyre. Elle ne perdit rien de sa dignité ; les tumultes de son âme ne purent soulever d’une ligne, dans leurs plus extrêmes violences, le poids de sa sagesse, et ainsi elle n’était pas une fille de Minos et elle ne ressemblait en aucune façon aux femmes turbulentes, violentes, expansives, qui, dans les temps du passé, ont fait retentir des lamentations de leurs amours, tantôt les bois, les sommets, les gorges du Cithéron ou de l’Hémus, tantôt les voûtes encaustiquées d’arabesques des palais de Sardes ou de Milet. C’était une fille saxonne, faite pour vaincre elle-même et les autres, et elle le faisait ; non sans souffrir, sans réclamer, se plaindre en elle-même, sans éprouver la cuisson de tous les piquants de l’imagination en révolte, mais sans faiblir une seconde dans sa résolution de ne pas rendre autrui témoin de ses défaillances.

Elle devint sérieusement malade, et, ce qu’elle se garda bien d’écrire à Nore, elle fut prise d’un anéantissement graduel qui paraissait dénouer ses membres et dissoudre ses forces. Le médecin du Résident attribua cet état