Page:Gobineau - Les Pléiades, 1874.djvu/160

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Mais nous, moins accomplis, moins élevés, nous occupons plus de points, nous voyons plus d’idées, nous savons davantage, et ce que nous devinons à demi s’étend infiniment plus loin. Ni les passions, ni les sentiments, ni les besoins, ni les instincts, ni les désirs, ni les craintes ne sont demeurés accroupis sur l’humble degré où la philosophie de Platon les trouva. Tout a monté, tout a multiplié. Ce peuple de génies ailés, qui nous mène, nous dirige ou nous égare, s’appelle désormais légion, et c’est lui qui, pétrissant les âmes, fait refléter sur la face humaine des expressions, des significations que ni Praxitèle, ni Phidias n’avaient pu connaître. Ces maîtres n’auraient point regardé la physionomie d’Harriet si elle avait passé devant eux ; pour eux, ce n’eût pas été la Beauté.

C’était la Beauté pourtant, la Beauté d’une ère qui n’est pas celle de la joie, mais celle de la vie doublée et redoublée :

« Un long cri d’espérance a traversé la terre. »

Et cette espérance est celle d’échapper triomphalement aux étreintes du mal, en s’enfermant dans les murs solidement construits d’une volonté dominatrice. Voilà ce que faisait Harriet, et voilà pourquoi, n’étant plus jeune, n’ayant jamais été belle dans le sens classique de ce mot, elle était devenue, par l’exercice de la pensée, par l’effet de la souffrance, par la vigueur de la résolution, voilà pourquoi elle était devenue plus que belle.