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strueuse la prétention de solliciter un congé après n’avoir servi que dix-huit ans continus.

— Je me charge de cette affaire, dit-il ; j’écrirai moi-même à Londres, et je vous ferai parvenir la réponse.

Coxe remercia très-mal, parce que la reconnaissance l’étouffa et lui coupa la parole, puis il rentre chez lui, garda& le secret de sa démarche et attendit dans une grande anxiété les résultats. En de certains moments, il voyait tout en rose ; alors, il se flattait d’obtenir neuf mois de congé, le temps de l’aller et du retour compris, et, avec une demi-solde ; mais il estimait au fond cette imagination folle et exagérée. Quatre mois seraient bien suffisants, pour peu qu’Harriet les employât consciencieusement à se soigner.

Au bout de trois mois, le Résident le fit appeler. Coxe devina ce dont il s’agissait. Il se sentit près de s’évanouir et eut toutes les peines du monde à arriver jusque dans le salon où il était attendu. Le Résident lui remit une dépêche.

Il obtenait un congé de trois ans avec sa solde entière. Tout ce qu’il put faire, ce fut de serrer la main de son protecteur qui, comprenant ce qui se passait, le poussa sur un fauteuil où Coxe tomba plutôt qu’il ne s’assit, voyant le ciel tout grand ouvert, où, en manière d’anges, le Résident et les directeurs et les actionnaires de sa Société voltigeaient sur les nuages. Les cœurs de cette espèce n’aperçoivent jamais que le bien qu’ils reçoivent et payent de suite en bénédictions et en gratitude, sans rechercher ni la façon ni les motifs. Enfin Coxe revint un peu à lui, trouva quelques mots à dire à son bienfaiteur, plus que payé déjà par l’expression de ce vieux visage vénérable, et s’en retourna chez lui. Maintenant, la grande affaire était de communiquer la nouvelle à Harriet.