Page:Gobineau - Les Pléiades, 1874.djvu/166

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Fallait-il la lui révéler tout d’un coup, là, brusquement ? Ô ciel ! non ! Il risquerait de la tuer ! Qu’on juge de l’émotion ! Quelle surprise ! Elle ne savait pas même que son père pensât à rien de semblable. Et un tel succès encore ! Non, il fallait trouver un moyen adroit, procéder avec mesure, avec précaution ; ne pas trop en avouer à la fois, traîner la confidence pendant huit jours, et s’arranger de telle sorte que, lorsqu’elle serait faite, elle ne causât qu’un plaisir calme, tant les transitions auraient été habilement ménagées.

Coxe, s’étant ainsi préparé, entra dans le salon d’Harriet et vint s’asseoir auprès d’elle.

— Qu’avez-vous, mon père ? lui dit-elle. Vous semblez bien joyeux, et je ne vous ai jamais vu ainsi.

Mais Coxe, s’enfonçant dans sa dissimulation, répondit avec profondeur :

— Non ! Harriet, je ne suis pas très-joyeux. Je voulais vous dire seulement que j’ai pensé, il y a trois mois, à demander un congé pour aller passer quelque temps en Angleterre.

— Et vous avez reçu une réponse favorable aujourd’hui ?

Coxe resta consterné.

— Qui vous l’a dit ? s’écria-t-il.

— Mais vous-même, mon père, répondit-elle en souriant. Vous m’annoncez ce que vous avez fait il y a trois mois, et je vous vois tout content. J’en conclus que l’on vous a accordé ce que vous demandiez.

Coxe se murmura à lui-même le titre d’une ancienne comédie espagnole : « Une femme est un diable », et il resta pensif, ne sachant s’il devait avancer ou reculer.

— Parlez donc, je vous en prie ! s’écria à son tour Harriet, en réalité fort émue ; que vous a-t-on dit ?