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Page:Gobineau - Les Pléiades, 1874.djvu/223

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Positivement, madame Tonska était une créature absolument exceptionnelle, se mouvant au sein d’un nimbe lumineux et rayonnant, et, comme il n’y a guère d’admiration possible sans comparaison, toutes les femmes qu’il avait approchées et plus ou moins connues, y compris la sienne, lui semblèrent ne valoir guère mieux que d’insignifiantes poupées vis-à-vis de cette merveille dont il avait fait la découverte. Pour lui, il se sentait autre qu’il ne s’était trouvé en aucun temps. Jusqu’alors, il avait souffert d’une sorte de timidité secrète ; cette lâcheté avait disparu. Il était un homme hors ligne, il n’en doutait plus, et Sophie ne le lui avait certainement pas dit, ni rien d’approchant : elle le lui avait démontré, et il venait de s’en expliquer vis-à-vis d’elle et vis-à-vis de sa propre conscience. Sophie était sublime, lui, supérieur, puisqu’elle se soumettait à lui et le suppliait de la diriger ; elle était forte, il était plus fort, puisqu’elle s’appuyait sur lui ; et, finalement, c’était lui qui venait de tracer la route magnifique où il allait désormais faire avancer les pas de cette femme adorable. Gennevilliers se rafraîchissait ainsi de sa nuit blanche, en se plongeant par-dessus la tête dans le bain le plus onctueux qui fut jamais : une pleine cuve de vertus parfumée du contenu de plusieurs flacons de vanité distillée.

Pendant ce temps, les choses ne se passaient pas ainsi du côté de madame Tonska. Lorsque Gennevilliers fut sorti, elle se tourna et se retourna quelque temps dans son lit et essaya de dormir. Elle y parvint un instant et s’assoupit ; mais, sous l’action d’une tête trop active, elle se réveilla en sursaut, et, si complétement, qu’elle comprit l’inutilité de toute tentative nouvelle pour obtenir le repos. Alors elle se leva, passa une robe de chambre,