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Page:Gobineau - Les Pléiades, 1874.djvu/225

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dans tous les cœurs et prêtant, presque littéralement, les mêmes mots à toutes les bouches ! Comment se fait-il donc que moi, qui ne suis ni méchante ni hargneuse, qui ne suis pas, Dieu merci ! systématiquement incrédule, je puisse, encore plus que l’amour, maudire et exécrer ce langage absurde dont je m’abreuve à cœur-joie depuis quinze jours ? Comme toute cette litanie sonne creux et faux ! Combien ce pauvre M. de Gennevilliers est charlatan, et, ce qui est le plus à sa charge, il l’est, le malheureux, sans le savoir ! C’est tout au plus, je gage, si, dans les minutes à demi lucides que lui accorde sa débilité de tempérament et d’esprit, il lui passe dans la tête comme une révélation, pauvre fusée éteinte aussitôt sous une avalanche de phrases toujours prêtes, et qu’il n’a pas eu seulement le pauvre mérite d’inventer !… Dieu ! que je voudrais être comme lui ! J’aurais désiré me faire religieuse ! Je voudrais pouvoir lui faire, lui donner le salon qu’il rêve ! On y discuterait le mérite des candidats aux évêchés vacants ; on y inventerait les prédicateurs de génie, on y ferait des greffes matrimoniales, pour servir à la propagation de la bonne cause, en unissant un jeune pied-plat, intrigant sans fortune, à une jeune oie millionnaire. Non, il ne faut pas me lancer sur cette belle route ! Je ne saurais plus comment m’en tirer, et, en somme, me voilà à bout de voie, mourant d’ennui et ne voyant plus à quoi me retenir, et moi, la fierté, l’orgueil, l’audace, passant ma vie à jouer les comédies les plus aventurées, parce que je comprends tout et ne réussis à être sincère dans rien ! On m’a aimée ; je n’y tiens pas ! Je crois à tout ce qu’il faut croire et reste indifférente ! Je me sens incapable de rien faire de vil, de bas, de vulgaire, de rêver des distractions indignes en réalité, je suis la vertu, et je ne peux pourtant estimer quoi que