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Page:Gobineau - Les Pléiades, 1874.djvu/226

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ce soit de ce qui meuble la sphère d’où je ne voudrais pas sortir.

Pendant qu’elle se confessait avec cette amertume, car elle était dans un moment de crise et n’usait pas ordinairement, même en tête-à-tête avec sa conscience, d’une pareille sincérité, madame Tonska se pénétrait de la nécessité de quitter l’impasse où elle s’était engagée. Cette situation, avec un caractère comme le sien, se reproduisait quelquefois ; alors elle passait invariablement par trois états : d’abord une révolte violente, comme celle à laquelle le lecteur vient d’assister ; insurrection complète, cris, fureurs, rupture du joug ; en second lieu, résolution ferme de jeter à la figure de la tyrannie répudiée tous les débris des gênes mises hors de service ; troisièmement, et sous l’impression rafraîchissante du sentiment de la liberté reconquise, un retour graduel, hésitant, mais enfin complet à la prudence et à la modération.

Car que faire ? Si l’on détruit tout, que restera-t-il ? Que voudra-t-on ? Où ira-t-on ? La vie est, en somme, renfermée dans un cercle, et, si l’anneau est rompu, comment exister ? où ? de quoi ? par quoi ? On est libre, c’est bien ; cela console et détend. Mais pousser les choses aux derniers termes, ce n’est pas le fait des natures qui souffrent du scepticisme. Elle se refusa à aller trop loin. Triste, horriblement triste, elle demeura pénétrée de son impuissance et de son humiliation, et possédée plus que jamais du désir de changer. Elle prit une plume et écrivit :

« Mon ami,

« Vous avez prédit juste encore deux fois. Je ne vaux rien, ni pour les autres, ni pour moi-même ; j’ai peur que vous ayez raison jusqu’au bout. Ainsi, jamais je n’aime-