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Page:Gobineau - Les Pléiades, 1874.djvu/230

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et de la ligne de conduite à laquelle il s’attachait. Venu en Russie, à l’époque même où la comtesse Tonska cessait de se faire lire les ouvrages de sainte Thérèse par M. le duc d’Olivarès, Casimir Bullet lui avait été présenté dans un bal, et, à la suite d’une discussion, elle l’avait trouvé singulier et l’avait admis chez elle. Pendant un mois, elle en avait fait sa société la plus intime.

Au bout de ce temps, il lui avait paru inexplicable que Casimir, aimable, élégant, intelligent, ne lui eût fait encore, dans aucune forme, ni déclaration, ni même insinuation d’amour. À la vérité, s’il s’y fût risqué, il est certain qu’il n’aurait pas eu lieu de s’en réjouir. Pourtant, le voir se tenir parfaitement en repos et dans les limites de la discrétion la plus exacte étonna Sophie, et de s’en étonner à en vouloir pénétrer la cause, il n’y avait qu’un pas ; elle le franchit.

Elle voulut extraire le fond de l’âme de Casimir par les procédés les plus réguliers. Elle multiplia les occasions où il la trouvait seule ; lui parla beaucoup de lui ; manifesta, de la manière la plus flatteuse, de l’intérêt pour ses opinions, et affecta d’être en toutes choses de son avis et de s’y ranger quand elle ne l’avait pas pressenti. Puis elle consentit à avoir avec lui des airs troublés et inquiets et des moments de taciturnité très-significatifs. Il ne parut pas s’en apercevoir ; quand elle restait silencieuse, il l’imitait, et de longs moments se passaient ainsi ; quand elle parlait de lui, il entamait un autre sujet ; quand elle lui montrait de l’affection, il l’en remerciait ; mais elle ne pouvait découvrir s’il en était ému ou non.

Voyant qu’elle ne réussissait pas à le tirer de sa réserve, elle n’y tint plus :

— Je voudrais vous faire une question.

— Demandez, et il vous sera répondu.