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Page:Gobineau - Les Pléiades, 1874.djvu/231

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— Serez-vous tout à fait sincère ?

— Est-ce vraiment utile ?

— Absolument nécessaire ; j’en appelle à vos sentiments d’honneur.

— Du moment que vous le prenez sur ce ton, ma véracité sera absolue.

— Je veux vous croire. Pourquoi n’êtes-vous pas amoureux de moi ?

— Pourquoi je ne suis pas amoureux de vous ?

— Oui, dites un peu.

— Je le suis.

— Vous êtes amoureux de moi ! Quelle plaisanterie !

— Je ne plaisante aucunement. Le mal a commencé il y a trois mois ; je vous aime à l’adoration.

— Vous me dites cela comme vous me raconteriez la gazette.

— C’est qu’en effet c’est une nouvelle, puisque vous ne le savez pas.

— Alors, pourquoi ne me l’avez-vous pas avoué ?

— C’est parce que vous ne me l’avez pas demandé.

— On vous demande donc ces choses-là, à vous ?

— Toute autre femme que celle dont j’ai l’honneur en ce moment de subir l’interrogatoire n’eût pas eu besoin de recourir à ce moyen si peu usité, j’en conviens ; mais, avec vous, on ne peut faire autrement. J’ai eu beau m’ingénier et chercher d’autres biais, je n’en ai pas découvert.

— Je ne vous comprends pas du tout.

— Maintenant que la glace est rompue, je m’expliquerai tout à fait.

Sur ce mot, madame Tonska, intéressée, mais irritée aussi et n’attendant que le moment d’éclater, regarda son interlocuteur bien en face. Celui-ci recula sa chaise au