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Page:Gobineau - Les Pléiades, 1874.djvu/238

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Vous n’êtes pas capable de conserver longtemps la même volonté. Si vous sentez quelque amitié pour moi, donnez-m’en la preuve en consentant à ce que je désire.

À la fin, madame Tonska se laissa vaincre. Elle devint l’héritière anticipée de Casimir ; et celui-ci, ayant arrangé son départ pour Wilna, se présenta pour prendre congé. Elle était troublée. Elle ne put s’empêcher de le montrer. Il lui baisa la main, sortit, et elle ne le revit plus.

Cette séparation fut plus pénible qu’elle ne l’aurait soupçonné à l’avance, non qu’elle ne pût se passer fort aisément d’un admirateur quelconque. Elle était d’ailleurs si entourée, jetée dans un tel tourbillon, que, si la moitié de son monde lui eût manqué, il lui en fût encore resté trop. Cependant, plus souvent qu’elle ne s’y serait attendue, elle voyait passer au fond de sa mémoire la figure sombre de Casimir. Chaque fois qu’elle eut de l’ennui, chaque fois qu’elle eut du chagrin, de suite elle pensa à lui, et ce devint une habitude. Plus tard, tout s’effaça un peu ; quand elle était entraînée dans quelqu’une de ses grandes entreprises, quand elle ourdissait une de ces trames dont elle attendait de l’amusement, elle l’oubliait ; mais un jour arrivait où, se trouvant au milieu des décombres, l’image du fanatique réapparaissait en elle. Il lui arrivait de lui écrire comme on a vu qu’elle l’avait fait à l’auberge de Saint-Gall ; il ne répondit jamais ; elle eut beau le supplier, il ne sortit pas de son silence. Elle avait trop l’intelligence de ce caractère pour ne pas comprendre la désespérance assise au fond. Elle se résigna, et désormais, quand elle écrivit, ce fut uniquement pour crier à quelqu’un : « Je souffre », et dire la vérité sur elle-même. Non, il ne lui écrivit jamais, mais une fois par an à peu près, à des époques indéterminées, elle recevait une lettre absolument blanche. Elle reconnaissait sur