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Page:Gobineau - Les Pléiades, 1874.djvu/248

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— Je vous écoute, répondit-il en se passant la main sur le front.

— Vous serez bientôt plus attentif. Don Pierre sollicita la main de doña Isabelle ; il l’obtint. Le Roi l’ayant nommé gouverneur d’Alhama, ce fut là que se firent les noces. Je me hâte, Conrad, je me hâte d’arriver à ce qui va vous intéresser.

— Ne vous pressez pas ; tenez ! croiriez-vous que le son de votre voix me fait, seul, plus de bien que je n’en ai éprouvé depuis des mois ?

— Le son, c’est de la musique et la musique exprime l’affection ; il faut aussi accueillir les paroles. Parmi les réjouissances, il y eut un combat de taureaux. Le marié, la mariée, les invités, la noblesse, les bourgeois, les paysans, le peuple occupaient le pourtour de la place à se dressaient de brillants échafauds ; on en était à la seconde course, quand, soudain, des cris épouvantables s’élevèrent. Les tribunes s’écroulaient, précipitant, parmi des flots de poussière, un amas affreux de blessés et de morts.

Don Pierre se jeta au plus fort du tumulte, sous les poutres et les planchers croulants. Au milieu des cris de détresse, il trouva une femme et l’emporta. Il ne l’avait pas regardée ; il ne l’avait pas vue ; au moment où il la déposait à terre, hors du danger, au coin d’une ruelle, à moitié sans connaissance, elle lui jeta les bras autour du cou et lui dit : « Sauvez-moi ! »

Don Pierre, la contemplant alors, se sentit saisir, en même temps que par ces deux bras réunis, par une puissance étrange qui l’enveloppa tout entier. Il lui entra dans le cœur et dans la tête comme une flamme, et, sur son esprit, il tomba un voile. Tout se troubla en lui et se transforma. Il lui sembla qu’un nouveau don Pierre se